RAMA YADE ET LES SPORTS URBAINS


Le secrétariat d’ Etat aux Sports organisait le mercredi 16 décembre les premiers “Etats généraux” des sports urbains. Au-delà de la formule et du discours de clôture plaidant pour une meilleure reconnaissance de ces disciplines auprès des institutions, aucune proposition, aucune piste concrète pour mieux faire connaître ces sports n’a été dispensée sinon l’assurance d’en rediscuter en 2010.
Dans l’ensemble, les débats ont été très vivants grâce à l’enthousiasme qui anime les apôtres d’un sport redéfini, soit par le refus de la compétition, soit par l’appropriation d’un territoire, soit les innovations en matière de concepts de jeux, ou encore les liens entretenus par ces pratiques avec les nouvelles technologies et l’architecture, enfin se réclamant d’une culture qui a parfois plus à voir avec l’affichage d’un mode de vie -ou carrément la création artistique- qu’avec le culte du corps ou du record.

Le problème pour les sports urbains est justement qu’ils sont l’émanation de la ville. Oublions les querelles de sémantique parce que ces sports se disent aussi “libres” ou “alternatifs” voire “contemporains”, nous parlons de l’Art du déplacement, du Double Dutch, du BMX, du Skate, de glisse en général et j’en passe de nombreux autres, pardon. Cet investissement des villes par des activités physiques adaptées au milieu s’accompagne aussi d’une liberté de pratique revendiquée comme essentielle parce qu’identitaire, et cela, quelque soit le niveau social des adeptes, leur origine, leur nationalité. Et c’est exactement ici que le dialogue se fait plus complexe parce que chaque discipline n’a pas la même idée du mot “liberté”. En tout cas, cet ensemble de sports désormais bien ancrés dans notre société (qui ne s’est pas essayé au Roller?) échappent encore trop souvent à la compréhension, des grands médias, des fédérations classiques, des élus et de l’Etat dans son entreprise de régulation ou de maîtrise de ces activités qui remettent en question le vieux modèle du stade, du gymnase, bref des lieux consacrés du sport auxquels elles échappent. Pour les pouvoirs publics, quand ils ne les dédaignent pas ou les jugent dangereux puisque se déroulant hors des cadres établis (l’école par exemple) pour l’activité physique, il y a obligation de repenser la place du sport dans la cité, ses valeurs, son enseignement. Le chantier est donc gigantesque. Ils ont aussi obligation de se débarrasser des vieux réflexes qui laissent à penser que ces sports sont pratiqués par des jeunes désoeuvrés auxquels il faut porter assistance, sinon socialement, au moins financièrement voire sur un plan éducatif. Parce que comment laisser vivre de façon autonome des disciplines qui de nos jours sont pratiquées ou guidées par des adultes responsables très au fait des réalités de la gestion d’une ville? En gros, en France aujourd’hui, les gouvernants sont-ils véritablement capables (ou ont-ils vraiment la volonté) de s’inspirer des aspirations de la société civile ?
Evidemment, le problème est politique. On peut encourager la pratique du skate sur des parcs fermés soit disant pour confiner les problèmes de sécurité mais au nom de quoi la police arrête-t-elle un skater faisant des figures sur une rampe d’escalier? Le mobilier urbain est un bien public et croire que les skaters ou autres s’emparent de l’espace “rue” pour incommoder le voisinage est une fausse piste, un mensonge. Ils mettent simplement de la vie là où il n’y en a plus, voir au Trocadero à Paris. Il s’agit de politique au sens premier parce qu’il serait temps que les hautes instances du sport comprennent qu’une ville où la jeunesse ne peut pas s’amuser dans la rue, n’est pas autorisée à se mouvoir à sa guise est en passe de mourir. Doit-on, comme le suggérerait un intervenant, prendre le train ou l’avion vers l’étranger pour pouvoir pratiquer des sports qui pour beaucoup d’entre-eux ont une très forte implantation en France et créent de la richesse par les échanges humains qu’ils provoquent. Rappelons qu’il est interdit de jouer au football dans la rue… Mais que l’on peut faire son jogging à souhait sans autorisation médicale préalable… Pour l’instant, donc, l’affaire n’est pas très claire.
Ces pratiques soulèvent bien sûr des problèmes juridiques -les interventions ont beaucoup porté sur ce sujet- mais finalement pas plus que l’accident de Vélib’, engin dont les utilisateurs ne sont parfois pas maîtres. Heureusement, localement, dans des villes moyennes, des élus l’ont bien compris et se sont mis à l’écoute des pratiquants pour mettre la ville au diapason de ce souffle qui réconcilie les centre-villes avec la vie citadine telle qu’elle doit être, un ensemble d’activités diversifiées respectueuses les unes des autres. Il ne faut pas interdire la pratique spontanée de ces sports de trottoirs, il faut simplement faire valoir les raisons qui justifient leur existence, arriver à se réjouir de ce qu’elles insufflent d’inattendu et de beau dans des paysages urbains ou le maintien de la paix rime parfois avec l’impossibilité de s’y exprimer. D’ailleurs, au final, voilà bien ce qu’il ressort de ces débats. Les sports urbains mesurent la forme physique de la liberté d’expression. Le pari engagé par la secrétaire d’Etat aux Sports est de taille.
O.V. pour Le Monde

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